jeudi 26 février 2009

Livre: Squats, un autre point de vue sur les migrants, de Freddy Muller et Florence Bouillon

« Dès mon arrivée à Paris, travailler sur l’immigration fut une évidence. Mon point de vue sur la ville était en lien direct avec le traitement des immigrés. Je voulais voir leurs conditions d’accueil, leurs contraintes, leur quotidien. »

Le sujet, Freddy Muller le connaît bien. Tout commence par un reportage en 2004, dans le cadre de sa formation de photojournaliste à l’Ecole des Métiers de l’Information (EMI-CFD). Freddy choisira le squat de Cachan, encore peu médiatisé. Viendront ensuite des commandes pour la presse et des photos personnelles dans différents squats et lieux d’hébergement des migrants. Il assiste aux différentes expulsions, en tire des images fortes, saisissantes. Et surtout un terrible sentiment, celui d’une incompréhension totale de l’univers des squats par le monde extérieur. En cela réside tout son travail.

Alors forcément, se contenter de reportages anglés et ponctuels est trop restrictif pour montrer l’ampleur de ce phénomène, et la connaissance qu’en a développé Freddy. Il pénètre ces espaces ghettoïsés, éprouve la réalité d’un monde nourri de préjugés. S’en dégage une fibre toute personnelle qui, en deçà de la dimension socio-politique, redonne au sujet la part d’humanité qui lui est due.

Pourtant, quand on lui demande de parler de « Squats », Freddy est un peu désemparé. Comment expliquer une démarche aussi personnelle ? Par où commencer ? Comment résumer quatre ans de travail, de rencontres et de témoignages ? Le photojournaliste feuillette son livre à la recherche d’une réponse, d’un point de départ.

Les familles expulsées du squat du Prés Clos en juin 2005. Photo : Freddy Muller.

Le voici : une photo, l’inverse nous aurait surpris. Sur l’image, les habitants du squat d’Aubervilliers dorment dans la rue, suite à une expulsion. Ils passeront quatre mois dehors, sans aucun recours. Freddy s’insurge : « On est en France et des enfants dorment dans la rue. Il y a un vrai problème ! »
Ici naitra une obsession ponctuée de tendresse et de colère. Son but : sensibiliser le grand public aux conditions d’accueil des immigrés.
Squats est un livre-document aux images aussi belles que percutantes. Sans conteste, l’éditeur (Alternatives) est conquis par les images. Mais pour donner du poids à la démarche, il faut en modifier l’ampleur. L’ouvrage sera donc le réceptacle de trois énergies : la sociologie, l’image et la parole. Trois niveaux d’interprétation qui permettent au lecteur de saisir l’ensemble du sujet.

Florence Bouillon, Docteure en anthropologie, chercheuse associée à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS), explique le phénomène des squats, sujet qu’elle maîtrise parfaitement. En plus de la partie historique, elle montre la différence entre deux types de squats : « à côté des artistes et des militants politiques qui envisagent le squat comme un espace de réalisation de projets
politiques et alternatifs, les squatteurs sont essentiellement des immigrés mal-logés qui aspirent à une vie ordinaire ».

C’est sur ce dernier axe qu’elle concentre son travail, multipliant les références et les résultats de ses études sur les migrants. « Derrière le clandestin, il y a une multitude d’hommes et de femmes, aux parcours singuliers ». Le squat est une solution de secours, puis de lutte. Il est la conséquence d’un système global, une « porte d’entré », dont les « occupants par nécessité sont stigmatisés ». Ses écrits, mis en parallèle avec les photos de Freddy, nous aident à « pousser la porte du squat, pour rencontrer ceux qui y vivent et lever le voile sur la condition d’immigré ».

On découvre que « le squat se substitue au bidonville d’antan ». Et pour cela, les images de ce jeune photographe n’ont rien à envier à celles des années 50 et 60 des Bloncourt, Dityvon, Pottier… Il s’inscrit réellement dans la lignée de ces grands, et apporte une suite logique à leur travail.

Squat de la rue Charles Michel à Saint-Denis, sinistré suite à un incendie, mai 2008. Photo: Freddy Muller

En bon professionnel, le photojournaliste s’impose un détachement pour mettre en lumière un point de vue davantage humain que politique. Si le climat sécuritaire est bien présent dans ses photos, il ne cherche pas à le revendiquer. Le squat est avant tout un espace où s’organise une vie collective. On y perçoit un réel souci d’adaptation aux codes sociaux et culturels français. Entraide et solidarité sont les mots clés des migrants. Un moyen aussi naturel qu’humain de faire face à l’exclusion et à la discrimination. Freddy se définit comme un vecteur de transmission. Ses images sont toujours dans le ressenti. L’ambiance y est palpable, on a parfois l’impression d’avoir le son quand on se plonge dans son ouvrage.

Les rires d’enfants, le calme des réveils après une nuit dans la rue, les slogans scandés dans les moments de lutte, le bruit des bottes pendant les expulsions…
S’il est souvent au grand angle, c’est pour être encore plus prêt du sujet, nous livrant ainsi une vision large mais absolument pas détachée. La vie quotidienne, les luttes, la solidarité… Il les a vécues de l’intérieur, et cela se sent. La qualité photographique renforce ce sentiment. Freddy Muller sait donner un sens précis à ce qu’il écrit avec ses images. Les lignes directrices, toujours présentes, les couleurs, les ombres des personnages comme leurs portraits, s’accordent parfaitement avec l’engagement du texte de Florence Bouillon.



Démolition du squat du Prés-Clos, à Aubervilliers, en 2005. Photo : Freddy Muller.

Enfin, les témoignages apportent cette part d’humanité souvent négligée. Freddy Muller est retourné sur place interviewer une partie des squatteurs. Ibourahim, Meité ou Edouard nous font partager leur histoire. En donnant la parole à ceux qui, souvent victime de la barrière de la langue, ne peuvent se faire entendre, le photojournaliste va alors au plus près de son expérience personnelle. Une rencontre. Pour une conclusion bien trop évidente pour être, ne serait-ce qu’un instant, pensée : aucun d’entre eux n’a choisi de vivre dans un squat.

On ne peut prétendre à un ouvrage sur les squats sans souligner les problèmes de la politique migratoire actuelle. Aussi, montrer les conditions de l’immigration, c’est d’abord distinguer les différents statuts des migrants (immigrés, sans-papiers…). C’est également insister sur les difficultés de logement qui en découlent et l’inéluctable nécessité des squats. En soulevant ces points, le photographe s’exclame : « Il y a vraiment un problème de discrimination et d’accès au logement. Les migrants sont obligés d’organiser des luttes entre eux. C’est alors qu’interviennent les associations, d’où le chapitre qui leur est consacré ».

Freddy Muller engage une réflexion trop rarement entamée sur un univers obscur et marginal, où règne pourtant la plus grande des humanités. Au lecteur de poursuivre…


Socio-anthropologue, Florence Bouillon travaille depuis une dizaine d’années dans les squats et sur les phénomènes liés au mal-logement.
Photographe, Freddy Muller réalise depuis 2004 un travail documentaire dans les squats et sur les mouvements sociaux liés a l’immigration.
Maquette réalisée par Delphine Darier.

SQUATS - un autre point de vue sur les migrants
Florence Bouillon (texte)
Freddy Muller (photos)
Editions Alternatives

Publié sur Photojournalisme.fr

mardi 24 février 2009

Livre: De Niro’s game, Rawi Hage

Liban, début des années 1980. Le titre plante le décor. Dans un Beyrouth anéanti par la guerre civile, Bassam et Georges, alias De Niro, vivent de petits trafics, de vitesse et d’alcool. Pour survivre il faut être un caïd et surtout savoir jouer. Jouer avec la vie.

Dans un monde où l’horreur côtoie la démence, les deux amis se réfugient dans l’absurdité de la vie quotidienne : Bassam fuit le foyer mortifère en gagnant sa vie au port pendant que Georges travaille pour dans un casino de la milice chrétienne. Les jours se suivent au rythme des fracas, des enterrements et des pleurs. Dans un nuage de sang et de poussière, Bassam et Georges aspirent à des jours meilleurs. La solution apparaît comme un ultime salut : détourner les recettes du casino. Avec l’argent, tout est possible. Mais à quel prix ? Subir ou se battre, il faut choisir. Bassam rêve de partir. Georges flirte avec la milice. Quand la cocaïne et les meurtres s’invitent à la fête, il faut s’attendre au pire…

Rawi Hage nous fait pénétrer dans le terrible destin de deux adolescents consumés par l’urgence de vivre. L’écriture scandée et haletante cueille cette nervosité ambiante. Naissent alors des silences hébergeant toute la violence du texte. L’imagination devient le seul refuge possible. Que les rêves parlent d’exil ou de prendre les armes, sortir de la tragédie est une nécessité.

Mais au delà de la guerre, De Niro’s Game est un roman sur l’amitié. Deux amis, deux voyous, deux frères. Et une question pour toile de fond : que devient la plus précieuse des amitiés en temps de guerre ? Bassam assiste, impuissant, à la déchéance de son ami. Jusqu’à ce qu’il découvre l’autre facette de Georges, celui qu’on appelle De Niro. Une amitié noire, scellée par la découverte d’un secret.
Peu à peu, l’énergie du texte s’élime en vide et désolation. Dommage que le récit se fasse plus flottant dans la seconde partie. Mordant en son début, il est presque décevant. Trop enlevé. Souvent prévisible.

Au final, l’auteur nous plonge sans concession au cœur d’un drame collectif. Deuil, affrontement, abandon, mais aussi l’espoir des âmes brisées. Rawi Hage nous livre la guerre dans ses moindres détails. Pas de pathos ni de propos moralisateurs, il sait raconter la guerre mieux que quiconque. Et pour cause, la guerre civile est bien plus qu’un récit pour ce libanais, originaire de Beyrouth. C’est une blessure personnelle que les mots viennent panser.

De Niro's game de Rawi Hage, ed. Denoël, paru le 4 septembre 2008

mercredi 18 février 2009

Livre: Comme Dieu le veut, Niccolo Ammaniti

D’Erri de Luca à Umberto Eco, la littérature italienne ne cesse de gonfler les stocks des librairies. Mélodieuse, poétique et colorée, elle s’annonce souvent comme une image de carte postale. Alors forcément, quand Niccolo Ammaniti nous précipite dans une campagne pluvieuse en proie à la misère et la vulgarité, on est un peu surpris. Tel est pourtant le visage d’une Italie abandonnée au sort de la violence et d’une économie déchue. Une Italie aux couleurs grisâtres et nauséabondes, ravagée par l’alcool et l’exclusion. Comme Dieu le veut est un voyage en terre inconnue ; un récit désopilant, presque excessif. Fort d’intentions.

Rino Zena est un chômeur fasciste. Entre deux bouteilles, il guette les services sociaux qui risquent de lui retirer la garde de Christiano, son fils avec qui il entretient un rapport passionnel, emprunt d’idolâtrie et de fureur excessive. Rino s’encanaille d’un duo de bons copains, Quatro Formaggi et Danilo Aprea. L’un, obsédé, a perdu la tête après avoir été foudroyé. L’autre ne se remet pas de la mort accidentelle de sa fille et du départ de sa femme. Bercés par le quotidien et les virées abrutissantes, ces « pieds nickelés » décident soudainement de piller un distributeur automatique. Le casse doit avoir lieu un soir où la pluie fait rage. Un soir où une jeune figure expiatoire changera la donne. Où la noirceur d’un bois abritera un acte épouvantable…

La rapidité de l’action nous conduit, sans économie, du grotesque à la tragédie. Ammaniti mêle tendresse et humour noir avant de faire exploser le récit dans la folie du désespoir. Une chute saisissante où la violence des rapports humains se justifie par une improbable rédemption. Le rythme s’accélère, la lecture s’emballe. Et résonne en nous. Comme cette écriture palpitante et séquencée, aux effets cinématographiques. D’ailleurs, une telle maîtrise du style et de l’action ne manque pas de séduire le 7e art : on attend bientôt Comme Dieu le veut sur grand écran.

Comme Dieu le veut, de Niccolo Ammaniti, éd. Grasset, paru en Août 2008

mardi 3 février 2009

Ciné: Slumdog Millionnaire, de Danny Boyle

Jamal Malik a grandi dans les taudis de Mumbai. Il est un slumdog – littéralement, chien des bidonvilles – comme on dit. A 18 ans, il s’apprête à remporter la somme de 20 millions de roupies à la version indienne de « Qui veut gagner des millions ? ». Un succès qui éveille les soupçons de la police. Comment ce gosse des rues a-t-il fait pour connaître les réponses ? Il se voit empoigné, torturé et interrogé… Il ne peut qu’avoir triché. Commence alors le moment des aveux. En toute sincérité, Jamal nous raconte une jeunesse comme les autres, dans les bas fonds de Bombay. Pourtant, des émeutes religieuses aux tortionnaires d’enfants, le jeune garçon a suffisamment vécu pour connaître le nom de l’inventeur du révolver ou du président sur un billet de 100 dollars.

L’histoire est belle, simple et suffisamment irréaliste pour nous conforter sur un point : nous sommes bien au cinéma ! Jamal est ce héros des temps modernes, que les expériences de vie, aussi douloureuses soient-elles, conduisent vers la réussite. Tout droit sorti d’un livre pour enfant. Si bien que la mafia et les autres menaces sont presque atténuées. Dommage…
Mais Slumdog Millionnaire, c’est la fraicheur d’une destinée sur fond de crasse et de misère. Un clin d’œil au cinéma bollywoodien qui ne manque pas d’attendrir le public. Le film est un succès, sans conteste. Les spectateurs ont une envie irrépressible d’applaudir aux dernières notes du générique, chanté et dansé à la Bollywood par les comédiens.

Des couleurs vives, un univers chatoyant, une histoire touchante, du suspense justement dosé. Slumdog a tout d’un bon film. La force de Danny Boyle est là : un scénario en béton et une construction complexe admirablement bien menée. Du plateau télé aux souvenirs d’enfance, en passant par le commissariat, il nous entraine dans une série de flash back aussi haletants que surprenants. Le film est rythmé, énergique. A l’image d’un Jamal dont le cœur bat pour une seule et même cause : retrouver sa dulcinée. Car bien sûr, Slumdog Millionnaire ne déroge pas à la règle des grands classiques du cinéma : une histoire d’amour trépidante, livrée à tous les dangers !


Slumdog Millionnaire, de Danny Boyle, sorti le 14/01/09
Avec Dec Patel, Mia Drake, Freida Pinto