lundi 28 septembre 2009

Polka: "la galerie, c'est le mag qui s'expose"

Ce mois de septembre marque l’emménagement de Polka, magazine et galerie, rue Saint-Gilles dans le 3e arrondissement de Paris. Au lendemain du vernissage de l’exposition « Droit dans les yeux », Dimitri Beck, rédacteur en chef, explique le projet.
Dans un dernier filet de lumière, les jeunes arbustes de la Cour de Venise semblent défier l’été qui s’achève. Tout juste réhabilité, l’espace renait à la vie et accueille ses premiers occupants. Mais si l’envoutement italien délivre sa douceur de vivre, le charme reste très parisien. Au cœur du Marais, une petite boutique embrasse la rue Saint-Gilles. A l’intérieur, quelques tirages inaugurent la peinture fraîche. Un avant-goût. La suite se découvre en parcours fléché ouvrant sur un havre de paix. Dans une cour pavée, classée 17e siècle, siège une halle aux allures d’atelier. Elle déploie son exposition sur deux étages, entre la lumière d’une verrière et la douceur d’un sous-sol. Située au fond de la galerie, la rédaction mise sur la convivialité. Une situation qui s’est imposée d’elle-même lors du déménagement.

photo: Abbas

Dès son arrivée dans les anciens locaux, rue Oberkampf, l’ambition de Polka était ailleurs : « On voulait un espace plus central, où les galeries photos drainent les visiteurs. Surtout, on cherchait un espace qui représente la personnalité de Polka », confie Dimitri Beck. D’ailleurs, le vernissage était vécu comme un défi. En ce soir du mercredi 16 septembre, photographes, journalistes, représentants d’agences mais aussi éditeurs et libraires sont venus découvrir le nouvel espace Polka. Le but : réunir ceux qui agissent pour le soutien de la photo et du photojournalisme. Au total, environ 1500 personnes ont répondu présent. Parmi elles, Jack Lang, ancien ministre de la culture, ou Alain Delon… Tous se disent enchantés, même les aficionados de l’ancienne galerie.

photo: Paolo Pellegrin
Car le projet Polka se veut un tour de force dans le monde de la photo. Le principe : les photographes publiés dans le magazine sont visibles dans la galerie pendant la durée du numéro en cours. « La galerie, c’est le mag qui s’expose ». Et cela va bien au-delà de la maison-mère. En travaillant avec des partenaires, Polka se concentre sur deux choses : faire vivre le fond des photographes qui ont déjà été publiés et apporter une actualité. Jusqu’au 31 octobre par exemple, l’hôtel Sofitel propose les clichés de Cathleen Naundorf et de trois autres ex-Polka dans une exposition sur la mode. Un côté paternaliste pour une rédaction qui se veut familiale. Mais au fait, comment entre-t-on à Polka ? « On fonctionne à tous les niveaux. On reçoit des porte-folio et de notre côté, on reste extrêmement informé sur ce qu’il se passe pour aller vers les photographes. On propose aussi des co-productions sur des sujets précis », explique le rédacteur en chef. « D’ailleurs une commande sur un sujet en Afrique sub-saharienne est en cours », ajoute-t-il à demi-mots. Surtout, la rédaction exige une démarche mêlant plusieurs disciplines. « Raconter une histoire, celle du monde d’aujourd’hui, parler de ses contemporains et de leur vie, là est l’intérêt de Polka. Peu importe si le photographe n’est pas un photojournaliste, l’essentiel est qu’on ait un regard pertinent sur un peuple».
photo: Cathleen Naundorf

Jusqu’au 7 novembre, Abbas, Paolo Pellegrin, Cathleen Naundorf et Hans Silvester, nous proposent de traverser l’Iran, les sociétés en guerre, la haute-couture mais aussi les terres lacustres de la Camargue. A côté de ces pointures de la photo, Mickaël Bougouin et Steven Siewert s’annoncent très prometteurs. Avec les plages d’Iran d’une part et l’Amérique rockabilly d’autre part, Polka mélange les genres comme les tirages. Originalité délibérée ou marché entre photographes ? « La taille des tirages dépend du type de photo. On tâche également de respecter le format voulu par le photographe. En revanche, la quantité dépend de la notoriété et de l’histoire racontée. Par exemple, une rétrospective sur Klein qui a 70 ans de carrière impose une certaine quantité de photos. A l’inverse, on préfère privilégier la qualité pour un photographe encore inconnu », explique Dimitri.
photo: Steven Siewert

Cette fois-ci, la galerie Polka raconte aussi une autre histoire : celle de Christian Poveda, également exposé. Une de ses images trône en grand format face à la porte d’entrée. Elle a été généreusement prêtée par son ami Alain Mingam, avec qui il partageait un appartement parisien. Le cliché s’accompagne d’un texte hommage : « Tu aurais du arriver hier. Le verre est vide en t’attendant […] ». Eminemment solennel…

photo: Christian Poveda

Publié sur Photojournalisme.fr

Biographie: Manu Larrouy

Manu n’aime pas qu’on écorche son nom. Larrouy se dit « Larrouille » et c’est une heureuse méprise : entre l’être et le paraître, le corrosif et le bling-bling, le chanteur joue avec les mots et déjoue son monde. Ni PD, ni juif, ni vendeur de spliffs, Alors qui ?
Sa seule appartenance se dessine sur les pierres de la ville rose, Toulouse. Ado, il décide d’apprendre la guitare sur les airs de Téléphone, U2 et Dire Straits avant de rejoindre la fanfare de Nouméa – service militaire oblige. Là, il rencontre le major du Conservatoire de musique. Le hasard comme par hasard : les deux hommes sont voisins de chambrée ! Grâce à lui, Manu apprend le solfège et les techniques classiques. Pendant son temps libre, il squatte les douches de la caserne pour profiter de leur acoustique et s’entrainer. Encore et encore. Son objectif : franchir lui aussi les portes du Conservatoire. Pari tenu.
Une bonne technique en poche, Manu doit désormais trouver son style. Concerts et vagabondages le conduisent sur les pas de Matthieu Chedid et Olivier Lude. Des rencontres opportunes qui lui permettent de trouver sa voix. Elle prendra forme définitive en 2003 avec un album, Intérieur bout d’ficèle, autoproduit dans une cave toulousaine. Trois ans plus tard, il est proclamé « découverte » aux Francofolies de La Rochelle. L'artiste prend alors l'autoroute direction les Transmusicales à Rennes mais un terrible accident lui impose de longs mois de convalescence. Le moral finit par prendre le dessus. Il termine son premier album tout en écrivant le single de Maya Barsony, "La Pompe à Diesel". Et ne tarde pas à passer la seconde !
Diam’s découvre le chanteur dans Bête de Scène, un documentaire de François Pécheux qui croisait son parcours avec celui de Cali et Manu Larrouy aux Francofolies. La rappeuse, directrice artistique de Motoun, s'enthousiasme pour les textes de Manu. Outre-Manche, il dégote Mike Pelanconi, producteur artistique de Lily Allen ou Graham Coxon. L’album "Mec à la coule" est enregistré à Londres pendant l’été 2008 et sort en France en mars 2009.

Son titre phare, "Mec à la cool", est une véritable déclaration de foi. Dans un savoureux mélange de chanson française et de pop, l’artiste s’étonne de l’avènement d’une nouvelle société. Sa technique de frappe : une nonchalance poétique, fixée par des textes ciselés et polis aux mots près. Manu dénonce et aime sur des rythmes chaloupés aux sonorités reggae. Simplement coooool.


Publié sur AlloMusic

vendredi 25 septembre 2009

Biographie: Sammy Decoster

Si les cordes d’Elvis Presley n’étaient pas venues lui chatouiller les tympans quand il était petit, Sammy Decoster aurait été garde forestier dans sa Normandie natale. Peu surprenant pour un homme qui ne peut composer sans Dame Nature à ses côtés. La solution : un malicieux partage entre la fac de géographie et la guitare. Jusqu’au jour où il croise la route d’Ultra Orange. Un peu de blabla, de la gratte, de l’alchimie et hop, emballé ! Le jeune premier devient le guitariste scénique du groupe. Parallèlement, il monte un trio au nom révélateur de Tornado. Car avec son minois d’enfant de chœur, Sammy est un faux-sage. Sa Licence de géo en poche, il décide de lâcher ses ambitions de gardien des bois pour pousser la chansonnette en solo. Mais rapidement, l’artiste se heurte à la réalité. Nous sommes en 2004 et le monde du disque déraille un peu. Le jeune homme décide d’attendre gentiment son heure. Pendant cinq ans, il travaille comme éducateur dans un foyer pour handicapés et malades mentaux, à Montfermeil.
Entre le foyer et les paysages bucoliques, il rêve d’un ailleurs. Direction le Grand Ouest et ses pick up dévalant la route 66 bordée de motels décatis. Au magnéto, Johnny Cash électrise l’ambiance. L’artiste trouve son univers musical outre-atlantique, dans les grands espaces peuplés de fantômes évanouis. Les pieds sur terre la tête dans les étoiles, il écrit et met en maquette ses premiers morceaux.
Son originalité le conduit tout droit chez Barclay. Sammy débarque à la maison de disques avec une première version de «Tucumcari», encore fébrile et incertain. Pour que l’album arrive à maturité, il s’entoure des musiciens de M83 et d'Arman Méliès. Un choix stratégique, quand on sait que ce dernier compte Yann Arnaud - collaborateur de Syd Matters entre autres - parmi ses producteurs. Réalisé à la fois à la maison et en studio, « Tucumcari » sort en janvier 2009, faisant de Sammy Decoster un nouveau maître de la verve musicale.
Habité par la tradition de la musique noire américaine, il jongle entre mélancolie et fièvre magnétique. Country, blues et rock endiablé se côtoient pour former une véritable palette musicale. Mieux, avec des textes intimistes et contemplatifs – en français, s’il vous plait ! – Sammy est un frenchy perdu entre deux rives. Ou presque. Car le chanteur ne quitterait son fief normand pour rien au monde. Il avoue même qu’à défaut de la musique, il travaillerait bien dans une ferme !
Publié sur AlloMusic

mercredi 23 septembre 2009

Biographie: Kenza Farah

Kenza Farah est jeune, belle et chante comme une reine. Issue des quartiers chauds de la ville de Marseille, elle se donne des airs de princesse des rues. Cheveux lissés, teint parfait, maquillage chatoyant et sourire d'ange : elle mêle féminité, audace et force de vie. La chanteuse fait partie de cette nouvelle génération qui fait de la musique un exutoire. Un parcours qui laisse rêveur. Ou qui agace.

Il y a dix ans, une ado pétillante et dynamique enflammait les guinguettes du 15ème arrondissement de Marseille. Son prénom, Farah, souligne ses origines algériennes. Une graine de star, assurément. C’est sans surprise qu'elle participe avec succès à une série de concours de quartier. Son titre phare, « D’amour ou d’amitié », lui vaut d’être surnommée « La petite Céline Dion ». Surtout, Farah est remarquée par Sofiane Drif de Dugny qui l’invite à enregistrer quelques morceaux en studio. Pour ça, elle décide d’inventer ses propres chansons.

Fini le temps des vocalises sur la célèbre chanteuse québécoise. La jeune artiste trouve son inspiration dans le R’n’b et le Raï qui lui sont chers. A nouveaux rythmes, nouvelle image : elle prend son deuxième prénom, Kenza (trésor en algérien), comme nom de scène. Ses premiers morceaux tournent de bouches à oreilles, avant d’atteindre la sphère du web. Grâce à son Skyblog, elle conquiert des fans dans la France entière. Cette fraîche popularité n’échappe pas à Abdel B, producteur pour le label naissant Karismatik. En décembre 2006, la chanteuse signe son premier album, « Authentik », qui se targue de la participation de Big Ali, Sefyu et Idir. Sorti dans les bacs le 11 juin 2007, il est classé disque d’or en deux semaines.

Avec sa voix claire et suave, Kenza chante le monde qui l’entoure. Je me bats, Sous le ciel de Marseille, Les enfants du ghetto, ses paroles sont celles d’une petite fille de la rue. Les fans s’identifient à ses épreuves comme à son courage. Tellement sincère, universel. Dans la lignée d’Amel Bent, Wallen ou Kayna Samet, elle trouve son public. En mars 2008, à l’Olympia, la Cérémonie des Trophées de Virgin 17 lui décerne celui de l’artiste R’n’b de l’année. Kenza voit rose et rien ne l’arrête. Pas même un accident de voiture en sortant de l’enregistrement de son deuxième album. La presse gonfle l’évènement pendant que certains l’accusent de vouloir faire parler d’elle. Mais, fidèle à elle-même, la jeune femme fait la sourde oreille. Dans un bastringue de mauvaises langues, elle sort son album « Avec le cœur » le 17 novembre 2008. Il est classé double disque d’or en six mois. De toute évidence, Kenza n’a pas fini de se battre !


Publié sur AlloMusic

mardi 22 septembre 2009

Hors-champ : le photojournalisme face à son public

Le ramdam de ces derniers mois nous le confirme : le photojournalisme est en crise. Pourtant, cette année encore, Visa pour l’image, festival international de photojournalisme unique en son genre, a attiré de nombreux visiteurs. A l’unanimité, ces personnes viennent pour « voir des images qu’[elles] ne voient pas ailleurs ». Alors justement, comment ce public perçoit-il le photojournalisme ?

Soyons clair, pour la plupart des visiteurs, un photojournaliste est d’abord et principalement un reporter capable de partir loin et d’affronter les pires conditions pour réaliser son sujet. Vous avez l’habitude de photographier les manifs, les rencontres présidentielles ou même la foire aux choux du village ? Sachez qu’une grande partie du public ne se demandera pas si le sens du cadrage est votre métier. Le photojournalisme, c’est avant tout de l’exotisme et du poignant. Et puis après, effectivement, en y réfléchissant…

Problème fondamental : le public a une mauvaise connaissance du photojournalisme, et dans la presse, les images sont perçues comme secondaires. Ce constat, les lecteurs le font eux-mêmes. Entre amertume et résignation, prise de conscience et interrogations, le photojournalisme suscite la polémique.

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« Si un magazine propose un reportage fouillé avec plusieurs photos, alors bien sûr je les regarde. Pour moi, les images sont même au cœur du sujet. Par contre, si c’est un article d’actu avec une image de manif par exemple, je ne m’arrête pas dessus ». Quand on sait la place accordée aux reportages dans les magazines, on mesure rapidement l’ampleur du problème. Les images de news ne sont généralement pas regardées et ce, paradoxalement, parce qu’il y en a trop et qu’elles se ressemblent toutes : « On voit beaucoup d’images de guerre et ce sont toujours les mêmes. Je me rends compte qu’il y a des images qu’on ne voit pas ». Trop de news tue le news et surtout, le risque d’une telle banalisation est la perte définitive de la sensibilisation du public.

Car finalement, le public n’est-il pas lui-même victime d’un choix éditorial ? Les lecteurs ont conscience que leur accès à l’image est largement orienté par le magazine. Certains déplorent la faible quantité de photos. Une ou deux images ne suffisent pas pour illustrer un sujet. La dénonciation est virulente : « En faisant cela, on canalise le ressenti. On en a marre de l’assistanat visuel ! » La solution ? « Les journaux devraient profiter d’internet pour mettre en ligne une sorte de porte folio sur les sujets publiés. Ce serait un parfait complément. » Pour d’autres, le fond du problème n’est pas tant la quantité que la qualité. Les magazines négligent le photojournalisme en proposant aux lecteurs des images quelconques, sans aucun souci esthétique ou informatif. Les photographies d’actualité basculent dans de l’illustration basique. Quelques lecteurs sont même choqués par le décalage entre l’image et le texte qui l’accompagne. Alors une question de déontologie émerge : « Est-ce que le mec qui fait les photos est au courant qu’il est utilisé comme ça ? Est-ce qu’il a au moins le droit de choisir sa photo ? Parfois je me le demande… » . Et quand l’image perd de sa signification, elle ne reste plus qu’un objet visuel comme le souligne une autre lectrice : « Il y aura toujours une place pour le photojournalisme parce que tout est visuel dans un journal ou un magazine. Mais il y a moins de place pour leurs œuvres au sens propre du terme ».

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Tout est visuel et le photojournalisme se perd dans un tourbillon de couleurs. De rares lecteurs prennent le problème à bras le corps : « On s’attend à ce que les magazines mette les images en valeur mais il y a une concurrence visuelle. Les photos sont rongées par la publicité et une logique marketing ». Prendre conscience de cette réalité est déjà un point de départ, même si la passivité du lecteur reste un inéluctable fléau pour le photojournalisme. Si certains d’entre eux mesurent la place accordée au média, d’autres n’y ont malheureusement jamais réfléchi. Alors pourquoi viennent-ils à Visa ? Pour voir des images qu’on ne voit pas ailleurs et surtout, parce que Visa pour l’image est une exposition. Quand des images de presse sont présentées en grand format avec un editing et un fil narratif, le visiteur se concentre sur le sens et le contexte de chacune d’elles. Surtout, une exposition permet d’humaniser le photojournalisme : « A travers une exposition, on réalise davantage qu’il y a un homme derrière l’objectif et que cette personne était à cet endroit précis. » Cependant, excepté Visa, les expositions de photojournalisme ne les attirent pas particulièrement. Car dans les actes, on constate que le photojournalisme n’est pas encore une priorité. Très peu de lecteurs achèteraient plus chère une revue avec de belles images d’actualité et des sujets de fond : « A partir de 7 euros, une revue est au prix d’un livre. Je préfère mettre l’argent dans une livre, ça n’a pas la même valeur. »
Tout est là. Pour le public, la presse n’a pas la même valeur que l’édition ou qu’une exposition. Pourtant, comme son nom l’indique, le photojournalisme n’est-il pas originellement destiné à avoir sa place dans un journal ? Et si la presse était en train de scier la branche sur laquelle elle est assise…


Photos: Julien Cassagne avec iphone

Publié sur Photojournalisme.fr

lundi 14 septembre 2009

Sur le chemin de Visa: réactions sur le vif...

Pendant les deux heures de déambulation qui leur étaient accordées, nous avons suivi les élèves du Collège Jean Moulin d’Arles sur Tech lors de leur première rencontre avec le photojournalisme. Réactions sur le vif…

Quand on a 15 ans et qu’on vient voir des images, lire le projet du photographe ou même les légendes est une futilité. Du moins au début. Car les élèves mesurent rapidement les risques d’une mauvaise interprétation. Comprendre la démarche du photographe est essentiel pour ne pas dire indispensable. Même si finalement, le choix de l’exposition ne relève que de la sensibilité de chacun.
Sans se faire attendre, Eugene Richards suscite des réactions épidermiques. « Ce qui est incroyable dans ces photos, c’est qu’on puisse mourir ou vivre avec une moitié de crâne. Tout ça juste pour sa patrie ». Delphine et Anaïs sont troublées par le sens profond des images et par l’horreur des hommes qui ont fait le sacrifice d’une vie. Ici, l’émotion est à son apogée. Quelques couloirs plus loin, Tristan et Clément sont beaucoup plus terre à terre. Ils se concentrent sur l’exposition hommage à Françoise Demulder et son aspect documentaire. « La photographe a une renommée et ça me touche qu’elle soit morte. Là, il y a des photos de guerre et pour moi, la guerre c’est l’Histoire. »


Mais, si la guerre est incontestablement historique, deux autres camarades préfèrent l’humour de Drachev aux lignes de front. « On ne voulait pas voir la guerre. Quand la prof nous a dit qu’il y avait un sujet sur l’humour, on a voulu le prendre. Même si parfois, il y a des photos où on ne comprend pas pourquoi c’est drôle… »Bien souvent, le sens des images échappe à ces jeunes visiteurs. Au détour d’une exposition, une conversation résonne. Deux élèves sont prostrées devant une image de Brenda Ann Kenneally. Sur la photo, une jeune femme vient d’accoucher. « Elle est heureuse ou pas ? / Comment tu le vois ? / Bah sur la photo, elle ne sourit pas. / C’est pas parce qu’elle sourit pas qu’elle n’est pas heureuse. / Oui, mais la légende nous dit pas si elle est heureuse ou pas, alors… »Alors… Les jeunes ont tendance à préférer des images construites, peu déstabilisantes. Chez Brenda Ann Kenneally, une élève s’interroge devant la photo d’une fillette dormant avec un journal sur la tête : « Elle a posé pour la photo ? Ca me dérangerait pas qu’elle ait posé. Moi je préfère une photo construite et jolie qu’une photo où c’est flou, où on ne comprend pas trop ce qu’il se passe. »

Entre raison et émotions, les élèves s’approprient lentement le média photojournalistique. Comme chaque année pour Mme Paingault et son collègue, la journée à Visa est forte en émotions. Le travail peut alors commencer. Cette première approche est un éveil à la sensibilité et à la subjectivité, même si, pour notre plus grand plaisir, certaines opinions sont déjà bien assumées : « Obama, C’est bon ! Il est riche, il est heureux… Moi je préfère voir autre chose ! »
photos: Julien Cassagne avec iphone

Sur le chemin de Visa: découverte du photojournalisme

Pour ces élèves de 3ème, Visa pour l’Image et l’idée même de photojournalisme est une découverte. Avant de venir au festival, Mme Paingault leur a parlé du triste destin de Christian Poveda. «On peut mourir pour ce métier !» s’est exclamé l’un d’entre eux.
Déjà, ils réalisent que le photojournalisme est une affaire d’engagement et de convictions. La professeure profite de cette réaction pour poser un sujet de rédaction à faire dans l’année : la liberté de penser est-elle mortelle ?

Car plus que tout, ces jeunes comprennent qu’il y a un homme derrière les images et que chacune d’elles comporte un message. L’essentiel pour Mme Paingault est de savoir décrypter la subjectivité d’une photographie. Alors que les parents d’élèves craignent la violence de certaines images présentées à Visa, cette dernière mesure le risque d’une lecture passive : « le vrai problème est qu’il n’y a pas d’éducation à l’image, ce qui peut être grave. Il faut expliquer le sens d’une image, son contexte. Alors on peut tout voir, quelque soit l’âge. Le regard, ça se construit, de même que la sensibilité ».



Précisément, deux années de suite, des jeunes filles ont pleuré devant une image. A l’inverse, les garçons préfèrent se donner des airs de caïds en masquant l’émotion par le rire. Peu importe, pour les professeurs, la sensibilisation fait son travail. Pour preuve : l’intérêt des élèves pour les questions d’éthique. « Comment on a pu photographier ça ? » s’interrogent-ils. Le pas est franchi. A la fin de l’année, certains d’entre eux veulent même devenir photojournalistes. C’est le mieux qu’on puisse leur souhaiter.

vidéo / montage: Alain Lebacquer

Photos: Julien Cassagne avec iphone


Publié sur l'Edition spéciale Visa pour l'image de Photojournalisme.fr

dimanche 13 septembre 2009

Sur le chemin de Visa: pédagogie et photojournalisme




Visa pour l’image ouvre ses portes aux scolaires. Cette année, nous avons suivi deux professeurs et leurs classes de 3e. Une manière de voir en quoi une pédagogie autour du photojournalisme permet une véritable ouverture sur le monde.
Pour les élèves du Collège Jean Moulin d’Arles sur Tech, la culture n’est pas une priorité. La majorité n’a jamais mis les pieds dans une exposition et l’actualité en général se résume aux résultats de l’Union Sportive Athlétique Perpignanaise – USAP. Selon Mme Paingault, ce qu’on peut pardonner à de jeunes ados est inacceptable pour de futurs citoyens. Ayant suivi une formation au CLEMI (Centre de Liaison de l’Enseignement et des Médias d’Information), cette professeure de français accorde une grande importance aux enjeux d’une image de presse.

Depuis plusieurs années, accompagnée de Mr Gorée, professeur d’Histoire, elle emmène ses classes de 3e à Visa pour l’image, point de départ d’une véritable démarche pédagogique. Ne bénéficiant d’aucun budget de l’Etat, les deux professeurs usent de leur enthousiasme pour mobiliser une participation du collège. L’établissement finance le transport en cars jusqu’au site. Pour le reste, les enseignants doivent compter sur leur énergie.

Ils travaillent en binôme dans un seul but : développer l’esprit critique de ces jeunes. Entre lecture d’images et interrogation sur l’actualité internationale, le photojournalisme devient un nouveau moteur d’éducation.
Un projet pédagogique en béton
Cette année, le programme de littérature est en partie basé sur l’engagement. Mme Paingault a décidé de développer ce thème en passant par le prisme de la photo et du photojournalisme : « on peut tout faire avec une image de presse, à la fois sur le plan didactique, discursif ou analytique ».

Elle envisage le photojournalisme comme un média d’utilité publique. Pour cette raison, son travail se déploie sur l’année entière, alla
nt de la prise de conscience à la mobilisation des élèves.
Photojournalisme et littérature
Tout commence avec une journée à Visa pour l’image. Là, les élèves ont deux heures pour parcourir le Couvent des Minimes à leur gré. Au préalable, ils ont choisi une exposition en fonction du sujet abordé par le photographe. Mais une fois sur place, l’émotion submerge la raison. C’est le cas de Delphine et Anaïs qui
sont saisies par le travail d’Eugene Richards. Au dernier moment les jeunes filles changent de sujet et se mettent à remplir la fiche d’analyse distribuée par la professeure.

Ce premier travail consiste à faire une lecture d’image selon différents repères tels que le titre, le thème, la légende, la couleur mais aussi le ressenti. Mme Paingault se concentre sur la subjectivité de chaque image et incite ses élèves à en avoir une lecture toute personnelle.

Mr Gorée, lui-même spécialisé en cinéma, les sensibilise à l’esthétique scénique d’une image. Il travaille sur une mise en parallèle des deux supports photo et cinématographique afin d’analyser le sens du cadrage par exemple.
Le but de cette première approche est de voir en quoi il existe un véritable langage photographique. En s’intéressant à une image de presse, les élèves doivent sortir du système narratif classique pour saisir les différentes formes d’argumentation. Comprendre et analyser l’engagement du photographe force les élèves à élargir leur vocabulaire et à développer un langage abstrait. L’image devient alors un objet littéraire qu’il s’agit de mettre en mots.
Photojournalisme et curiosité
Mais surtout, le photojournalisme est une ouverture sur le monde. Bien souvent, Visa pour l’image constitue un déclic pour les élèves qui se voient confrontés à une série d’images qu’ils n’ont pas l’habitude de voir. La surprise laisse place à la curiosité qui suscite l’intérêt. Ainsi peu à peu, ces jeunes sortent de leur microcosme et développent un nouveau rapport à l’actualité.

Mme Paingault encourage ce travail presque inconscient en créant des ateliers. Toutes les semaines, dix minutes de tribune libre incite un élève à faire partager son ressenti sur un évènement de l’actualité régionale, nationale ou internationale. Puis, par le biais de collages et de commentaires personnels, ils collectent les informations sur l’année 2009-2010 et constituent leur « Journal de bord des nouvelles du monde ». Ce travail sur l’actualité et le photojournalisme se poursuit avec la semaine de la presse. Là, ils créent un « mur d’images » sur un thème précis comme la représentation des femmes au travers de la publicité et du monde des images en général, par exemple.

Le photojournalisme pour de futurs citoyens du monde.
En plaçant le photojournalisme au centre de sa démarche pédagogique, Mme Paingault cherche à faire prendre conscience des images et de leur implication dans la société. Les élèves mesurent la force argumentative de certaines photos et apprennent ainsi à développer leur esprit critique. Ils saisissent l’engagement du photographe et apprennent à écouter les réactions de chacun face à un sujet d’actualité.
Parce qu’une image se joue de la subjectivité du photographe comme de celle du destinataire, ce média incite à la sensibilisation et à la tolérance. La professeure remarque les progrès effectués sur l’année scolaire. Entre les premières sensibilisations et l’intérêt manifeste à la fin de l’année, nos jeunes ados ont fait un pas dans la citoyenneté.





caméra / montage: Alain Lebacquer

Photos: Julien Cassagne avec iphone

Publié sur L'édition spéciale Visa pour l'image de Photojournalisme.fr

vendredi 11 septembre 2009

Visa pour l'image: Eugène Richards, les âmes brisées de l'Amérique

Dans son travail "War is personal", Eugène Richards explore les conséquences de la guerre en Irak sur les soldats américains : un impossible retour à la vie.

En mars 2003, l’armée américaine envahit l’Irak pour la seconde fois. Dans les faits, la guerre se lit sur le plan géopolitique, se calcule en nombre de morts et de tirs de roquettes. Pour les milliers d’anciens combattants, les séquelles physiques et psychologiques dépassent toute évaluation. Ils vivent la guerre au quotidien dans un fauteuil roulant ou assommés par la culpabilité. Eugène Richards part à leur rencontre et visite ce désespoir. Loin des combats et des bains de sang, ses images sont d’une extrême violence, presque insoutenables. Les stigmates de la guerre restent à jamais imprimés dans le corps de ces hommes qui ont cessé de vivre en prenant les armes.

Là, un homme estropié joue avec sa fille. Ailleurs, un autre doit désormais vivre sans la partie droite de son cerveau. Entre les larmes et les cicatrices, l’horreur ne trouve pas de mots. Les images se regardent l’âme en deuil, dans un silence outre-tombe. Précisément, des tableaux noirs séparant les différentes histoires rythment la visite. Et invitent au recueillement.Eugène Richards ne commente pas ses photos. Le respect l’en empêche. En laissant la parole aux familles ou aux victimes, il pénètre dans l’intimité du témoignage. Le passé est indicible, l’avenir inconcevable. Alors, quand le suicide ne vient pas libérer ces âmes brisées, il reste le conditionnel. Cette année à Visa, l’exposition War is personal n’est pas passée inaperçue. Eugène Richards fait parler ses images comme jamais, laissant la part belle à la subjectivité du visiteur.
Publié sur l'Edition spéciale Visa pour l'image de Photojournalisme.fr
crédit photo: Eugène Richards

Visa pour l'image: Brenda Ann Kenneally, l'oeil derrière le miroir

Brenda Ann Kenneally est la lauréate 2008 du Prix Canon de la femme photojournaliste. Son reportage Upstate Girls, ce qu’il advient de Collar city, est un témoignage de la misère aux Etat-Unis.

Elles s’appellent Diana, Kayla ou Roseanne. Elles ont entre un et sept enfants et travaillent plus de 40 heures par semaine dans un fast-food ou un supermarché. Ce quotidien aurait pu être celui de Brenda Ann Kenneally. A 16 ans, la photographe décide de quitter Troy, ville de l’Etat de New York, une des plus importantes de la révolution industrielle. Des prises de vue pour un reportage du Times magazine la conduisent à proximité de son quartier d’enfance. Elle y découvre l’abandon et l’exclusion, symptôme des classes ouvrières de la ville. Pendant que les hommes multiplient les séjours en prison, les femmes s’oublient entre travail, enfants et bien souvent, un autre type de séjour en cure de désintoxication.Aujourd’hui, Brenda regarde la vie de ces « upstate girls » – filles du nord, ndlr – comme son propre reflet. A travers ce reportage de cinq ans, elle a laissé une énergie visible. Et une esthétique toute personnelle.

La photographe est un oeil derrière le miroir. Elle pénètre l’intimité de ces vies qui n’ont jamais appris à vivre, précisément. Les adultes baignent dans la violence et le désoeuvrement. Les plus jeunes, livrés à eux-mêmes et sans éducation, sont voués à reproduire le schéma. Une condamnation. D’ailleurs, les images se passent de légende. Brenda Ann Kenneally joue du contraste avec finesse. A renfort de clichés lumineux, c’est tout le réalisme de la douleur qui explose. Hier soir, la projection apportait un complément à l’exposition présentée au Couvent des Minimes. La série en noir et blanc renforçait l’aspect dramatique du document. Terriblement américain.
Crédit photo: Wilfrid Estève

jeudi 10 septembre 2009

Visa pour l'image: Zalmaï, le coeur de l'Afghanistan

Dans son exposition Promesses et mensonges, le coût humain de la terreur, Zalmaï s’intéresse aux conséquences humaines de la guerre en Afghanistan. Ce matin, au Palais des congrès, le photographe a expliqué son projet.

Né à Kaboul, Zalmaï quitte l’Afghanistan en 1980 alors que les troupes russes envahissent le pays. Il y retourne 16 ans plus tard et retrouve un peuple abandonné aux mains de la guerre et de la terreur. L’histoire de cette population aurait été la sienne, s’il n’était pas parti.Dans le fond, ses images témoignent des conditions de survie de la population en terre afghane. Dans la forme, elles soulèvent une question beaucoup plus incisive sur le sens de l’information et du photojournalisme aujourd’hui.Le photographe a fait le choix de clichés en noir et blanc. Un caractère intemporel pour une situation qui s’enlise. En 2002, il avait fixé la joie et l’espoir de la population revenue d’Iran ou du Pakistan. Six ans plus tard, il apporte des images lentes et langoureuses, comme la vie de ces femmes au regard vide qui demeurent assises entre les pierres et les gravas.

Un jour, un homme lui demande pourquoi il le prend en photo. Le photographe répond qu’il veut être porteur de son message en faisant comprendre ce qu’il se passe en dehors des lignes de front. Il déplore l’aspect spectaculaire privilégié par les médias occidentaux. « Quand il y a des morts et du sang, je suis arrivé trop tard » affirme-t-il. Le problème est bien connu : on ne peut effectuer un bon reportage en étant seulement 3 jours sur le terrain. Argent et rapidité régissent le journalisme. C’est pourquoi Zalmaï conçoit son travail comme un sacrifice : « Il faut du temps pour entrer dans un sujet, du respect et de la persévérance. » Il se dit inquiet de l’avenir du photojournalisme guidé par des « news fast food ». Et son corolaire, les médias commettent des erreurs dans le choix des images. On ne s’intéresse pas aux raisons de la violence mais à ces effets. Alors, quand il décide de photographier des militaires, ceux-ci sont en repos, en vadrouille dans un camp de réfugiés ou en train de discuter avec un agriculteur. Tout est là. Les accusations du photographe à l’égard de l’Occident s’étendent aux responsabilités des Etats-Unis, de l’Angleterre ou de la France qui, pour répondre à des enjeux géopolitiques, entretiennent la situation.

Avec ses 46 clichés, Zalmaï espère une prise de conscience du grand public. Et si le parti-pris du photographe est évident, il a le mérite de soulever les bonnes questions.


Crédit photo: Wilfrid Estève

Biographie: Caravan palace

Tout commence par un porno muet des années 20. Une boite de prod cherche à faire une bande-son pour le film. L'idée : mélanger du classique et du moderne. Charles, Arnaud et Hugo, trois amis férus de jazz manouche et respectivement contrebassiste, guitariste et violoniste, se prennent au jeu. Et c’est un déclic. Non pas les films… mais l’envie de former un groupe. Ils abandonnent leurs petits grattages solos pour revisiter les vieux rythmes du swing jazz. Le talent leur interdit de tomber dans le recyclage. L’audace les pousse à jouer des platines. Le résultat est foudroyant. Entre musique tzigane et électro, le trio compose son premier répertoire et trouve un nom à son image : « Caravan » pour le côté gitan, « Palace » pour la célèbre discothèque parisienne.
Loïc Barrouk, directeur du Café de la Danse, mesure aussitôt le potentiel des jeunes artistes. Grâce à lui, ils enregistrent leur premier disque. Peu à peu, la petite caravane écume les bars parisiens avant d’envisager de grimper sur les planches. Pour ça, elle s’encanaille d’un clarinettiste, Chapi, un tromboniste, Toustou et un DJ, Aurélien. Enfin, Colotis Zoé est la dernière arrivée. Impétueuse et colorée, la chanteuse incarne l’univers du groupe. Pendant un an, des bars de quartier aux grands festivals, Caravan Palace roule sa bosse en mode troubadour. De quoi se forger un caractère… et un public !
Après un buzz remarquable via le net, ces enfants de Django et Sanseverino sortent leur premier album. D’abord téléchargeable sur MySpace, il parait en CD sous le label Wagram en septembre 2008. Avec un titre éponyme, la joyeuse caravane marque définitivement les esprits. Tant est si bien que sa musique résonne déjà au-delà de nos frontières, un peu partout en europe. Une hybridation d’un nouveau genre, décalée, endiablée et funky jusqu’à la sève. Du « swing électro » dit-on. Ou Caravan Palace, tout simplement.

Publié sur AlloMusic