Musicien, poète - à moins que ce ne soit l'inverse, chantre d’une époque où amour et anarchie ne font qu’un, apôtre des envolées lyriques aux accents argotiques, Léo Ferré est tout cela. Et bien davantage.
Un enfant d’abord qui, du haut de ses 7 ans, jouait les sopranos dans la chorale de la Maîtrise de la Cathédrale de Monaco, sa ville natale. Pour le jeune Léo, la musique est une seconde nature. Pensionnaire des Frères des écoles chrétiennes du Collège Saint-Charles de Bordighera en Italie, il en fera un refuge contre la solitude et la discipline rigoriste de l'internat. Le bac en poche, le garçon espère jouir pleinement de cette liberté à laquelle il aspire déjà en s’inscrivant au conservatoire de musique. Mais son père l’oblige à donner des cours de français au collège de Bordighera. Un an plus tard, on le retrouve à Paris sur les bancs de la fac de droit. En 1939, diplômé de sciences politiques, Léo est mobilisé : sa dernière obligation. Après la débâcle de 1940, il est renvoyé dans ses foyers. Dès son retour, le chanteur égrène ses notes autodidactes sur les ondes de Radio Monte Carlo où il est embauché tantôt comme pianiste, speaker ou bruiteur, ainsi que sur les scènes des cabarets monégasques. Là, repéré et encouragé par Edith Piaf, il décide de se produire à la capitale.
Mais pour le jeune intermittent, Paris est synonyme de galères. Pendant huit ans, il bat le pavé entre les différentes caves à chansons (Les Assassins, Le Trou, le Milord l’Arsouille). Une instabilité qui conduit sa femme Odette à la séparation en 1950. De cet évènement nait La vie d’artiste, chanson conçue à quatre mains avec Francis Claude, son patron et ami. Car des amitiés, Léo Ferre en a beaucoup. Dans la chaleur d'un appartement, il reçoit ses proches: Jean-Roger Caussimon, Juliette Gréco ou Renée Lebas.
Surtout, depuis 1947, le chanteur fréquente les milieux libertaires. Entre amour et anarchie, Léo Ferre trouve son inspiration. Il rencontre alors Madeleine, sa muse qui partagera sa vie et sa carrière jusqu’en 1968.
Tout commence pourtant grâce à une autre femme, Catherine Sauvage qui, en composant Paris Canaille, lui permet de signer avec la maison de disque L’Odéon et de décrocher un premier grand succès. En 1955, les planches de l’Olympia accueillent L’Homme, Monsieur William ou Graine d’ananar. Avec des textes d’un lyrisme aguicheur, Léo Ferré séduit André Breton. Poète et chanteur entament alors une petite amitié, vite bousculée à la publication de «Poète, vos papiers », un premier recueil de poèmes de Léo, dans lequel il ira puiser toute sa vie. Breton y verra une prise de position contre l’écriture automatique des surréalistes. Refusant de préfacer l'ouvrage, il restera fâché avec Léo jusqu’à sa mort en 1966.
Mais l'artiste n’en oublie pas moins son attachement à la poésie. En 1957, il compose un disque hommage à Baudelaire, « Les Fleurs du Mal chanté par Léo Ferre », avant de s’approprier les textes d’Aragon (« Les chansons d’Aragon ») pour la firme Barclay en 1961. Aragon, flatté et conquis, fera de Léo son cher ami.
Ainsi, la décennie 1960 se veut prolifique. Entre ses nouvelles créations (T’es chouette, T’es rock, Coco) et le célèbre « Ferre 64 », disque jonglant entre poésie et coups de gueule d’un anarchiste, Léo Ferre s’impose comme un grand parolier aux textes percutants, dans la lignée d’un Brassens ou d’un Brel. Apothéose en 1968: l’artiste, marqué par sa rupture avec Madeleine, trouve son inspiration dans les agitations du célèbre Printemps. Deux énormes succès publics, C'est extra (1969) et surtout Avec le temps (1970) apportent au chantre de la contestation une très confortable sécurité financière. En 1970, « Amour Anarchie » est accueilli comme le sommet de son œuvre.
La première moitié des années 70 sera marquée par d'incessantes performances scéniques, souvent audacieuses, accompagné par les musiciens - comme le violoniste Ivry Gitlis - ou des orchestres classiques. Changement de ton et de décor en 1976. Avec sa femme, Marie Christine, épousée en 1973, il s'exile en Italie et adopte un style plus dépouillé, souvent sombre, inspiré du jazz rock des Beatles. Avant de reprendre la route en 1979, avec des orchestres classiques ou le groupe pop français Zoo. Au fil des années 80, il décline des compositions plus rythmées : « Ma vie est un slalom » (1979), « La violence et l’ennui » (1980), « Les loubards » (1985) à travers des spectacles tout à la fois ambitieux et populaires. Systématiquement, ses récitals s'achèvent désormais par Avec le temps, sa chanson la plus célèbre, qu'il fait précéder d'une adresse au public : " Je m'en vais. Je vous souhaite bonne nuit. N'applaudissez pas, merci d'avance."
Partagé entre son travail et la douceur de vivre auprès de sa femme et ses trois enfants (Mathieu, Marie-Cécile et Manuella), Léo Ferre mène enfin une vie sereine, sans jamais renier les convictions anarchistes de sa jeunesse. Après un dernier effort, "Une saison en enfer", hommage à Arthur Rimbaud, le grand Ferré s'éteint, emporté par une terrible maladie à l’âge de 77 ans. Il est enterré à Monaco, dans une tombe anonyme. N'applaudissez pas, merci d'avance.
Publié sur AlloMusic.com