Hors-champ : le photojournalisme face à son public
Le ramdam de ces derniers mois nous le confirme : le photojournalisme est en crise. Pourtant, cette année encore, Visa pour l’image, festival international de photojournalisme unique en son genre, a attiré de nombreux visiteurs. A l’unanimité, ces personnes viennent pour « voir des images qu’[elles] ne voient pas ailleurs ». Alors justement, comment ce public perçoit-il le photojournalisme ?
Soyons clair, pour la plupart des visiteurs, un photojournaliste est d’abord et principalement un reporter capable de partir loin et d’affronter les pires conditions pour réaliser son sujet. Vous avez l’habitude de photographier les manifs, les rencontres présidentielles ou même la foire aux choux du village ? Sachez qu’une grande partie du public ne se demandera pas si le sens du cadrage est votre métier. Le photojournalisme, c’est avant tout de l’exotisme et du poignant. Et puis après, effectivement, en y réfléchissant…
Problème fondamental : le public a une mauvaise connaissance du photojournalisme, et dans la presse, les images sont perçues comme secondaires. Ce constat, les lecteurs le font eux-mêmes. Entre amertume et résignation, prise de conscience et interrogations, le photojournalisme suscite la polémique.
« Si un magazine propose un reportage fouillé avec plusieurs photos, alors bien sûr je les regarde. Pour moi, les images sont même au cœur du sujet. Par contre, si c’est un article d’actu avec une image de manif par exemple, je ne m’arrête pas dessus ». Quand on sait la place accordée aux reportages dans les magazines, on mesure rapidement l’ampleur du problème. Les images de news ne sont généralement pas regardées et ce, paradoxalement, parce qu’il y en a trop et qu’elles se ressemblent toutes : « On voit beaucoup d’images de guerre et ce sont toujours les mêmes. Je me rends compte qu’il y a des images qu’on ne voit pas ». Trop de news tue le news et surtout, le risque d’une telle banalisation est la perte définitive de la sensibilisation du public.
Car finalement, le public n’est-il pas lui-même victime d’un choix éditorial ? Les lecteurs ont conscience que leur accès à l’image est largement orienté par le magazine. Certains déplorent la faible quantité de photos. Une ou deux images ne suffisent pas pour illustrer un sujet. La dénonciation est virulente : « En faisant cela, on canalise le ressenti. On en a marre de l’assistanat visuel ! » La solution ? « Les journaux devraient profiter d’internet pour mettre en ligne une sorte de porte folio sur les sujets publiés. Ce serait un parfait complément. » Pour d’autres, le fond du problème n’est pas tant la quantité que la qualité. Les magazines négligent le photojournalisme en proposant aux lecteurs des images quelconques, sans aucun souci esthétique ou informatif. Les photographies d’actualité basculent dans de l’illustration basique. Quelques lecteurs sont même choqués par le décalage entre l’image et le texte qui l’accompagne. Alors une question de déontologie émerge : « Est-ce que le mec qui fait les photos est au courant qu’il est utilisé comme ça ? Est-ce qu’il a au moins le droit de choisir sa photo ? Parfois je me le demande… » . Et quand l’image perd de sa signification, elle ne reste plus qu’un objet visuel comme le souligne une autre lectrice : « Il y aura toujours une place pour le photojournalisme parce que tout est visuel dans un journal ou un magazine. Mais il y a moins de place pour leurs œuvres au sens propre du terme ».
Tout est visuel et le photojournalisme se perd dans un tourbillon de couleurs. De rares lecteurs prennent le problème à bras le corps : « On s’attend à ce que les magazines mette les images en valeur mais il y a une concurrence visuelle. Les photos sont rongées par la publicité et une logique marketing ». Prendre conscience de cette réalité est déjà un point de départ, même si la passivité du lecteur reste un inéluctable fléau pour le photojournalisme. Si certains d’entre eux mesurent la place accordée au média, d’autres n’y ont malheureusement jamais réfléchi. Alors pourquoi viennent-ils à Visa ? Pour voir des images qu’on ne voit pas ailleurs et surtout, parce que Visa pour l’image est une exposition. Quand des images de presse sont présentées en grand format avec un editing et un fil narratif, le visiteur se concentre sur le sens et le contexte de chacune d’elles. Surtout, une exposition permet d’humaniser le photojournalisme : « A travers une exposition, on réalise davantage qu’il y a un homme derrière l’objectif et que cette personne était à cet endroit précis. » Cependant, excepté Visa, les expositions de photojournalisme ne les attirent pas particulièrement. Car dans les actes, on constate que le photojournalisme n’est pas encore une priorité. Très peu de lecteurs achèteraient plus chère une revue avec de belles images d’actualité et des sujets de fond : « A partir de 7 euros, une revue est au prix d’un livre. Je préfère mettre l’argent dans une livre, ça n’a pas la même valeur. »
Tout est là. Pour le public, la presse n’a pas la même valeur que l’édition ou qu’une exposition. Pourtant, comme son nom l’indique, le photojournalisme n’est-il pas originellement destiné à avoir sa place dans un journal ? Et si la presse était en train de scier la branche sur laquelle elle est assise…
Photos: Julien Cassagne avec iphone
Publié sur Photojournalisme.fr
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